L’étude réalisée par CentraleSupelec, l’université Paris Saclay et le Laboratoire Génie Industriel a pour but de déterminer les conditions économiques et politiques nécessaires pour assurer l’attractivité du GNV en matière de compétitivité et de performance environnementale.
L’originalité de l’étude est qu’elle se base en grande partie sur des données spatiales réelles, à savoir le maillage des stations de ravitaillement et les déplacements logistiques de la chaîne d’approvisionnement du constructeur Renault Nissan (cf. schéma ci-contre). Ce jeu de données est utilisé afin de simuler la conversion de tout ou partie d’une flotte de camions diesel au GNV sur une chaîne de production française.
En particulier, l’étude vise à chiffrer deux coûts implicites liés l’utilisation du GNV, à savoir les détours effectués pour rejoindre une station de ravitaillement (le maillage étant à l’heure actuelle plus lâche que le maillage de stations diesel), ainsi que l’impact d’une conduite en conditions réelles (c’est-à-dire tenant compte de la conduite de chacun des chauffeurs).
Le GNC a été préféré au GNL dans ce cadre d’étude, en raison de son coût inférieur et des meilleures performances en termes d’émissions de CO2. Le GNL nécessite en effet de subir une étape de liquéfaction énergivore. L’étude visant à déterminer un optimum de conditions d’utilisation, c’est ainsi la forme de carburant apparaissant comme la plus efficace sur les plans énergétique et économique qui a été préférée.
Les paramètres clés de l’étude ont été déclinés en plusieurs scénarios, afin de pouvoir étudier leur influence relative sur les résultats :
1. L’ambition de l’entreprise a été modélisée selon 3 niveaux :
- Palier 1 : faible ambition (équivalent à un essai de la technologie sur un nombre réduit de flux)
- Palier 2 : ambition forte avec conversion de l’ensemble des flux éligibles
- Palier 3 : palier 2 + déploiement de stations de recharge directement sur les sites pertinents
2. Le prix relatif du GNC par rapport au prix du diesel a été modélisé sous deux scénarios :
- Un scénario stable (Central Scenario)
- Un scénario ou le prix du baril augmente fortement (Black Diesel)
3. Enfin trois mix de carburants différents ont été envisagés :
- Mix 100 % GNC fossile
- Mix 70 % GNC fossile et 30 % bioGNC
- Mix 100 % bioGNC.
L’étude se base sur les données historiques réelles des flux de logistique du groupe Renault Nissan, cependant seuls les trajets sur les routes françaises ont été pris en compte étant donné que l’étude vise à déterminer des conditions optimales pour le déploiement du GNV spécifiquement dans le cadre français. D’autre part, seuls les trajets considérés comme éligibles à une transition au 100 % GNC ont été considérés.
L’intérêt économique d’opérer une transition vers le GNC est évalué par le calcul de la « valeur actualisée nette » de l’investissement dans un camion GNC (par rapport au camion diesel de référence). L’étude repose sur des hypothèses de coûts, de trajets et de maillage de station précises afin de déterminer la rentabilité microéconomique (à l’échelle de chacun des camions) d’un passage au diesel. L’étude considère qu’un camion est converti au GNC dès lors qu’un bénéfice économique peut être obtenu par rapport au camion diesel de référence.
Les matrices ci-contre représentent les résultats obtenus en termes de 1) Camions convertis (en rouge), 2) Réduction des coûts opérationnels de l’entreprise pour ces camions (en bleu), 3) Réduction des émissions de CO2 (en vert).
Plus l’engagement de l’entreprise est fort, plus les économies sont importantes grâce aux effets d’échelle. L’acquisition d’un grand nombre de camions engendre en effet plus de pouvoir de négociation du côté des industriels ainsi qu’un maillage de stations de ravitaillement plus dense, l’attractivité pour les opérateurs de stations étant accrue.
La rentabilité de la conversion et l’ampleur de cette transition sont directement dépendantes de la compétitivité du GNC. Plus le diesel est cher relativement au GNC, plus la conversion de la flotte sera attractive pour les industriels, et par extension, plus cette conversion sera rentable.
En termes de performance environnementale, aucun scénario 100 % GNC fossile ne permet de réellement réduire les émissions de CO2. Seuls les scénarios intégrant un mix partiel ou total de BioGNV permettent de réduire les émissions. Le scénario Black Diesel avec engagement moyen engendre même une hausse des émissions de 9,6 %. En effet, les émissions des véhicules GNV sont pénalisées par les détours à effectuer pour le ravitaillement, qui sont comparativement plus élevés que pour le diesel en raison du maillage de stations GNV moins dense. Selon les différents scénarios modélisés, l’ampleur des détours varie de 3,8 % à 7,4 % (32 km dans ce cas), mettant en évidence l’importance de ces coûts « cachés ».
Selon l’étude, les politiques publiques devraient se concentrer sur l’aide au développement du bioGNC, pour le rendre attractif par rapport au diesel ou au GNC fossile. Une taxe carbone sur le scope Well-to-Wheel (plutôt que Tank-To-Wheel comme actuellement) pourrait être le meilleur moyen d’y arriver. Sur les flux considérés dans l’étude, une taxe carbone de 50 €/tCO2 (WtW) serait nécessaire pour permettre une réduction des émissions de 6 % (objectif de réduction 2019-2023 fixé par la SNBC) dans l’ensemble des scénarios 100 % BioGNC. Pour les scénarios avec 30 % de BioGNV, la taxe nécessaire s’élève à 102 €/tCO2. Une autre solution servant à stimuler le déploiement du GNV et bio GNV serait de subventionner une partie de l’investissement initial, afin de couvrir en partie le surcoût des véhicules GNC par rapport à leurs équivalents diesel (estimé à 23 800 € pour les poids lourds considérés). L’étude évalue la subvention minimale nécessaire à environ 8 %, pour assurer une rentabilité minimale dans un scénario d’engagement modéré de l’entreprise.
Proposant un autre regard sur la performance économique et environnementale des poids lourds GNC, l’étude met en évidence plusieurs conclusions. L’utilisation de données de maillage et de conduite réelles permet de mettre en évidence des coûts et émissions « cachées », notamment induits par les détours à effectuer pour le ravitaillement. Pénalisant aujourd’hui le GNC, cet effet renforce la nécessité d’augmenter la part de BioGNV dans le carburant pour assurer une performance environnementale en phase avec les objectifs nationaux. Pour assurer ce développement, l’étude suggère d’utiliser conjointement les outils que sont la taxe carbone (sur le périmètre WtW) et la subvention. Finalement, les auteurs soulignent la nécessité du développement d’une filière méthanisation locale et cohérente pour soutenir la croissance du BioGNV.
Consulter l’étude sur Science Direct : Economic and environmental performances of natural gas for heavy trucks: A case study on the French automotive industry supply chain – ScienceDirect